4 nov. 2016

ILE D'YEU MON AMOUR


Chère Ile d'Yeu,

    Excuse-moi, j'ai mis longtemps à t'écrire.
    C'est parce que t'es beaucoup trop belle.

    J'ai été un peu impressionnée par toi, et puis tout a été si vite.
    Je veux dire, si vite, depuis qu'on s'est rencontrées, parce qu'avant, comme avant chaque rencontre, hein, ça a été un bon gros pédalage dans la boue en se demandant si on allait arriver quelque part un jour, alors que spécialement pour toi je m'étais levée à six heures du matin, et j'étais allée clignoter des yeux dans un wagon immobile, pour me faire un espèce de petit stromboscope personnel de repos-éveil-repos-éveil superrapide en attendant le démarrage, bien sage et joyeusement vaseuse, me demandant vaguement pourquoi au fait ça démarrait pas trop trop.



    Je trépignais depuis au moins la veille en pensant que j'allais au concert par la mer, la radio de ma tête radieusement réglée sur bateau-bateau-bateau-bateau-bateau FM et voilà que coincés à l'aube pour une drôle d'histoire d'incendie sur les rails commentée en direct par le contrôleur d'une voix aussi pâteuse qu'un dentifrice mal embouché, on démarrait pas, on démarrait plus. A force de pas démarrer, on a loupé l'heure du bus qui devait nous amener au bateau qui devait nous amener à toi , et figure toi que le bateau pour venir te voir, yen a que deux, et le deuxième partait trop tard, beaucoup trop tard.

    Donc quand on a eu fini de passer mille heures à la gare puis mille heures dans le train qui faisait un détour pour éviter l'incendie, puis mille heures dans le bus avec le conducteur qui voulait mettre ma guitare chérie dans la soute que j'ai rigolé nerveusement avant de lui jeter mon regard laser préféré, en grommelant une formule magique de politesse de l'ordre de "c'est même pas envisageable", ben on s'est donc retrouvé en face de toi, à te voir presque mais sans pouvoir t'atteindre.



    Moi je voulais prendre un hélico mais Clément (qui fait le son si t'as suivi mes aventures) a dit que c'était pas raisonnable mais moi j'ai dit qu'au diable la raison pourvu qu'on ait le flacon, mais il m'a dit va dormir, alors on est restés sur la plage à se promener, en croisant des bonhommes de sables, à regarder les oyats, à imaginer qu'on avait des ailes et qu'on rigolait de tant d'eau devant nous.
    En fait ça allait comme punition d'être coincés à regarder la mer, la mer qui me manque tant ici dans la ville, mais c'est vrai que le deuxième et dernier bateau de la journée partait si tard que je commençais à me demander si j'arriverai ou pas après mon propre concert et je me disais que dans ces cas là il fallait vite que j'invente une formule magique pour pouvoir chanter rétroactivement.
    Finalement à force d'attendre romantiquement sur le sable en criant ton nom, Ile d'Yeu, le bateau est venu, et quelqu'un de l'équipe nous attendait en rigolant de ce retard invraisemblable, et moi je regardais ton port dans la nuit et les vagues qui se jetaient jusqu'à toi, et je pensais que t'étais tellement belle et que j'avais tellement de chance d'être là.


    Alors on a couru dans la salle et j'ai dit bonjour à tout le monde plus vite que l'éclair, bonjourbonjour-je-me-dépeche-parce-que-j'ai-zero-minutes-de-preparation-au-lieu-de-cent-vingt-mais-je-vous-dirai-beaucoup-plus-de-syllabes-après-le-concert-mais-là-ben-juste-bonjour-hein, et puis j'ai tout de suite enlevé mes chaussures et enfilé ma robe et pouf on a fait les balances les plus rapides de l'Ouest et déjà les spectateurs arrivaient, je me suis concentrée en accéléré comme du lait concentré qu'on aurait jeté dans un trou noir par exemple, j'ai dit Bonjour à Giedré qui jouait le même soir, sa petite tête blonde et sa robe fleurie et ses refrains au CIF javel dans les loges, mais on était tellement pressés que j'ai du dire une seule syllabe, genre "Bjour". C'était forcément pas la façon la plus sereine de se présenter mais c'était rigolo quand même.

    Et puis la traversée du concert s'est bien passée, j'étais encore un peu sonnée de t'avoir tant attendue puis rencontrée si vite, mais ça a rien empêché, au contraire, ça tourbillonnait, tu t'attendais pas tellement, et moi non plus, à ce que ce soit si beau, alors qu'on se connaissait si peu.
J'ai tellement couru que j'ai plus beaucoup de souvenirs, je me souviens des gens si calmes, de ma petite hésitation, je n'avais pas pu préparer mon bateau comme d'habitude et je perds si vite mes repères, mais à peine dans l'eau comme toujours tout revenait, l'eau était là partout, il n'y avait plus qu'à remuer les bras et déjà c'était une nage, déjà le voyage commençait.
    La musique parfois c'est facile, ça engloutit tout, le temps les tristesses et les espoirs trop rapides, ça vient dedans et ça fait de cent cratères désolés un seul lac clair. Alors voilà le concert était comme ça.
    Pour m'en remettre de cette drôle de course, je crois que tout le public m'a payé un verre, que j'ai fort mal refusé, heureusement que c'était une petite salle. Tout le monde a été adorable. De plus en plus flouement adorable.
    Je me souviens d'histoires d'amours perdus et de débat sur quel whisky pour quelle musique, de clameurs pour les saxophones, et d'accordéons moitié inventés moitié réparés, de conseils de mamans pour les enfants perdus de l'ile (tu vas tout droit et t'arrives à la mer et après tu fais le tour) d'ingrédient secrets et de radios et de vélos et de chuchotements et de merveilleux cafés qui prennent vie, et d'un gateau vegan à tomber par terre dans les carottes rapées. J'étais ravie, ravie d'être là si floue au milieu de toi tout autour.



    Oh le lendemain matin, chère Ile d'Yeu, je n'en croyais pas mes yeux de je me réveiller avec toi qui était si belle, comment j'avais donc fait pour me retrouver comme ça dans un si beau réveil, et malgré tout ce qui m'attendait dans la grande pulsation de la ville, je pensais joyeusement que le seul bateau qui pouvait m'y ramener ne partait que le soir, et que j'avais toute une journée à passer avec toi, choyée dans tes bras de mer et de vieux chateaux, écarquillant les yeux devant chaque virage qui découvrait un paysage de plus, la petite crique où un enfant jetait des pierres, les bateaux qui s'ennuyaient doucement dans leur petite berceuse de droite à gauche, la mer soudain révélée à l'infini, heureusement que j'avais du rab de souffle parce que tu me l'as volé plusieurs fois, je voulais tant revenir avec quelque chose que j'ai embarqué un bonnet en laine du coin pour passer l'hiver dedans, avant de rencontrer les moutons qui me l'avaient filé, merci les moutons, merci, essayé de sympathiser mais je parle visiblement très mal le mouton parce qu'ils étaient pas motiv-motiv pour me répondre, retournant à la salle pour manger des trucs plus délicieux les uns que les autres, dégoulinant toutes les routes sur le vélo que l'équipe nous avait ultra-gentiment loués pour qu'on puisse te visiter, et je t'assure qu'on s'est bien ébahis, qu'on a poussé des oh des ah, qu'on voulait prendre des photos chaque fois qu'on clignait des yeux, qu'on voulait habiter derrière chaque porte, les bleues, les jaunes, et celles avec les petites mains en bronze.



    Tu sais, l'Ile d'Yeu, on s'est pas connues longtemps, et je sais pas c'est quoi ta situation dans la vie, et je te demande ça vraiment prudemment hein, parce que t'es tellement belle, je sais pas, tout le monde doit te tourner autour. Mais j'ai l'impression, l'impression , hein, c'est toujours subjectif je sais, mais qu'on s'entendait bien, quand même, que la première nuit a été magique et que le jour d'après aussi, comme quand on a rallumé la lumière et que l'autre est toujours aussi beau alors que toutes les couleurs ont changé, et qu'on s'ébahit de chaque contour, qu'on voudrait tout goûter.



    Alors, Ile d'Yeu, je voulais te dire, si tu veux qu'on se revoie, enfin tu sais, je suis d'accord, voilà.       Dans mes yeux il y a toi, tout le temps. La mer et les moutons et le vieux chateau et la maison aux volets bleus. Et puis, si la vie fait qu'on se revoit pas, je vais garder les images de cette nuit et de cette journée là comme un trésor, un de ceux qui donnent du souffle et du courage, un de ceux qui étalent un paysage devant les pas quand on croit qu'on est coincés, il suffit de s'en souvenir et hop, tout s'élargit, et on peut respirer à nouveau. Le caillou que tu m'as donnée sur ta plage, il est tout près, quand je le prends dans ma main, c'est comme un portail, tout s'élargit et devient bleu, rocailleux, ancien et sans cesse renouvellé, puisque sans cesse lavé par la mer. Ca me fait entendre le bruit de tes vagues comme un souffle dans mon oreille.



    Alors, ben oui, merci, le festival Les Berniques en folie, et puis, merci, chère et magnifique Ile d'Yeu, vraiment, timidement, amoureusement, merci.  




1 commentaire:

Perrine a dit…

C'est merveilleux quand , une très belle poète, trouve les mots pour parler de l'amour que l'on peu avoir pour un petit bout de terre.