10 mai 2016

Merci, Concarneau, Queven

      
      Eh bien, nous voilà déjà longtemps après, le soleil et la terre ont dansé la javanaise au moins dix fois, ne m'en déplaise, et moi pendant ce temps, j'ai l'impression de n'avoir fait que courir, courir autour de la salle de bal, courir après des ombres, des fantômes, en attrapant quelquefois dans ma main des impressions, réussissant à leur parler quelques secondes avant qu'elles ne s'évanouissent.
Mais je voulais te raconter les derniers concerts, Concarneau et Queven, la Bretagne offerte, sûre de ses charmes, la joie que j'ai eu à ouvrir la scène pour l'épatante Jeanne Cherhal, et sa chanson de Noxolo qui me poursuit, Noxolo la tête collée à la vitre, son amoureuse souriante, et les voisins rôdant dans l'ombre, la torche de la haine allumée. Je voulais te raconter les chansons déroulées à cœur ouvert dans cette salle si sage et si tendre, tendre comme quand on coupe la viande, tendre et animale, un peu. Je voulais te raconter la mer qui chantait aux portes de la salle, et juste avant de jouer j'avais couru dehors sous la petite pluie, et j'avais trempé mes mains dans l'eau salée pour les lécher. Je voulais te raconter ce concert, comme un long baiser. Je voulais te raconter aussi les promenades dans la ville close, la mer partout, comme si tout le monde avait pleuré pour Noxolo pendant la nuit, et le soleil qui s'en foutait royalement, étalé, premiers frissons en terrasse, promeneurs paressant dans la ville, et les bateaux qui attendaient, transis, de partir, déjà lassés du port. 

     Je voulais te raconter aussi Queven, te raconter ce concert comme une bataille traversée en ayant jeté les armes et l'armure, les yeux pleins de défi et d'une tristesse infinie, te raconter l'accueil des Arcs placés comme des bras, et tout le public ouvrant les siens dès les premières notes, dans cette grande salle, huit cent personnes qui auraient pu me tuer d'un coup, et qui m'ont laissée passer et accueillie au milieu d'eux, avec mes questions, mes drôles de créatures, ma rivière de désirs étalée comme un collier, et cette blessure, ouverte. J'avais été pleurer comme une enfant punie, quelques minutes avant d'entrer en scène, dans les énormes seins de Rose, la cuisinière étonnée de me trouver là, reniflant dans son tablier, j'aurais voulu te raconter pourquoi, et pourquoi j'ai choisi de suivre l'encre de mes bras, et d'aller comme elle briller ou couler, toutes épées jetées au sol, pour être plus légère dans la traversée, quoi qu'il arrive. Je voudrais te raconter le concert de Vianney, qui aime tant sa petite guitare avec toutes ces notes qui lui viennent et l'éclairent, et qui a reconnu tout de suite la clarté étonnante de la mienne, que je lui ai mise dans les bras avec empressement, pour lui montrer comme elle a soif de jouer, comme elle fait apparaître les plus vrais des mirages, comme dans cette nouvelle où les passants s'arrêtent dans le désert pour voir ce mirage, qui n'apparait que si on y croit, et qui dessine parmi la fumée la ville qu'on préfère, celle qui nous manque, minarets, gratte ciels, tour Effeil ou cheminées, moi je crois que si j'allais dans le désert je verrais ma guitare magique, ma guitare adorée. Je voudrais te raconter comme c'était devenu important pour moi d'ouvrir cette soirée, de poser les blessures, de croire qu'on pouvait se parler vraiment, et de dire qui j'étais, les notes et les mots enlevant les masques comme de minuscules animaux grignoteurs. Merci pour ces concerts, Queven , Concarneau, merci de m'avoir accueillie, merci pour la mer, les confidences, ce long baiser de concert qui reste collé à moi, et cette bataille qui n'était rien d'autre qu'une traversée, offerte, comme dans ces contes où le héros panique avant de comprendre que la sirène qui l'emmène ne le noie pas, mais lui montre qu'il sait respirer sous l'eau. Merci . 

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