20 nov. 2015

L'histoire de mon nom.

      Un soir, il y a quelques années, en me promenant le nez au vent devant un concert organisé par les Inrocks à l'Olympia, j'avais attrapé une place en vol,  et j'étais entrée dans la salle avec une amie, j'avais sorti les yeux de mes poches pour les écarquiller au même rythme que mes oreilles devant Devendra Banhart, Brisa Roché, les Artics Monkeys, les Editors, et Anthony and the Johnsons.

C'était entre deux chansons de Devendra Banhart que ça s'est passé. Je me souviens des frissons et je me souviens que sa musique a toujours sonné comme une maison familière, une maison que j'aurais longtemps cherché. Alors entre deux frissons, comme pour me reposer, et parce que mon amie était très jolie, je disais des conneries. C'est pour ça que ça s'est passé comme ça: j'ai vu quelqu'un lever la main dans le public, un peu au loin, et j'ai compris que le chanteur avait proposé à quelqu'un de monter sur scène. J'ai du avoir un quart de seconde pour me traiter de triple idiote ou de quoi que ce soit que j'avais en triple dans ma réserve d'insultes personnelles, de pas avoir été attentive à ce moment précis, quand la main s'est baissée. J'ai pas pris le temps d'inverser mes insultes, je me souviens juste m'être jetée dans mon bras, un peu comme si l'air avait manqué, me jeter dans mon bras et le jeter lui en l'air, voilà.
Alors comme on me faisait signe de monter sur scène, comme j'escaladais cette idiote barrière de sécurité avec la robe en soie trop longue que j'avais mis ce jour là, moitié dégoulinant, moitié l'escaladant, empêtrée dans ma robe et mon rire, je pensais "quelle chance, je vais passer un moment à partager la musique avec eux", je pensais que j'étais invitée à faire des percussions derrière, quelque chose de rigolo comme ça, et que vite on allait s'apercevoir que j'avais un sens du rythme fluctuant, mais que je compenserai en étant tellement, tellement heureuse de faire ça, mal taper sur un tambourin.

Quand je suis arrivée avec mon sourire et ma robe enfin ramassée, quand je suis arrivée devant lui, il m'a tendu ma guitare et j'ai tout compris d'un coup. Que j'avais été une mauvaise élève qui n'écoute rien de la leçon mais qui par magie la sait quand même. Alors avec le grand sourire des mauvais élèves qui sont souvent sauvés, et de façon bien plus belle que s'ils avaient rempli l'exercice, j'ai remercié bien bas, j'ai pris la guitare, magnifique guitare contre moi , et j'ai joué un morceau.

On m'avait demandé mon nom. J'ai dit que mon prénom, c'était Camille. Je n'avais pas d'idée même de faire de ces rivières un métier, je n'avais d'idée pour rien, je me laissais un peu porter le temps de rassembler le courage, il faudrait quelques années encore. Alors j'ai dit mon nom et j'ai joué ma chanson. C'était une petite chanson qui trainait dans ma tête, un petit morceau de Lilt, le duo que je fais avec une amie et dont je te parlerai plus tard, promis, une petite chanson même pas finie qui trainait là dans ma tête.

Je me souviens qu'en cours de chanson j'ai pensé qu'il n'y avait pas de fin à cette route, puisque la chanson n'était pas du tout finie d'écrire ni de composer, et je rigolais tellement intérieurement de me voir là sur la scène de l'Olympia, à conduire ma moto à 200 à l'heure avec pas de fin à la route.

Alors quand la dernière phrase écrite s'est approchée, je l'ai dite à toute vitesse et puis j'ai pilé là, et pris une grande respiration pour savoir quoi faire avec ce précipice qui venait ensuite.
Il n'y a même pas eu à réfléchir: les applaudissements ont éclaté comme une cascade, et voilà, et le temps de me jeter au cou de chaque musicien pour dire merci j'ai donc redégouliné dans le public et dans mes robes, et j'ai assisté tremblante à la fin du concert et hypnotisée à celui d'Anthony and The Johnsons.
Je n'ai même pas pensé à aller gratter aux loges pour dire merci, je n'ai pensé à rien, j'ai pris mon amie par la main, traversé les gens qui me souriaient et me félicitaient, et j'ai ouvert la porte pour sortir. Dehors il y avait tout un cercle de gens qui attendaient, sans doute pour autre chose, mais quand ils m'ont vu, ils ont tous applaudi. Alors je suis partie dans cette ivresse là, d'avoir donné quelque chose avec toute l'évidence et la joie dont j'étais capable, et je me souviens, je me souviens bien, qu'on est rentrés chez moi titubantes.

Ensuite ça a pris quelques années, mais j'ai finalement dit d'accord, d'accord c'est ça mon métier, raconter des histoires, d'accord. Je voulais un nom pour faire ça, un nom qui soit déjà le mien. J'ai avoué cette histoire un peu, mais la voilà entière.
Un soir que j'étais dans cette période, de flotter en cherchant mon nom partout et comment le trouver, je me souviens que parce que j'avais du vague à l'âme, j'ai cherché quelque chose pour me consoler. et je me suis souvenue que sur deux-trois blogs il y avait des traces de ce moment. Alors je suis allée les relire , pour me souvenir des beaux moments secrets de la vie, et là c'est venu et c'était sûr, puisque tout le monde m'appelait "La Demoiselle inconnue", puisque c'était là, puisque c'était la première histoire de ma première vraie scène et de se donner entière au hasard et à la joie, alors d'accord, alors c'était mon nom. Et voilà comment mon nom était venu.








2 commentaires:

norgab a dit…

Elles sont belles, les histoire de la demoiselle ex inconnue, même l'histoire de la guitare perdue.. pas pour tout le monde, mais qui se finit bien..
Qu'est-ce qu'on peut dire d'autre?

Encore...

Norbert Gabriel

Danièle Sala a dit…

Merci Demoiselle inconnue , quelle belle histoire ! qui fait d'un bras levé, un bras d'honneur à la tristesse ambiante .